La notion de Tiers-Lieux est aujourd’hui de plus en plus citée dans les discours et s’énonce au grand public. Pourtant, la définition du concept reste floue. Quelles fonctions peuvent être associées à ces espaces ? De quel modèle du « vivre ensemble » sont-ils prometteurs ?  Quel rôle peuvent-ils jouer dans la dynamisation de nos territoires ? Quelles sont les actions mises en place pour promouvoir ces lieux ? Les quatre intervenants, présents ce 2 juin au Midi de l’urbanisme, ont tentés d’éclaircir le concept et mettre en lumière les ambitions qu’il donne à partager.

Bruno Bianchet, directeur scientifique du Centre de recherche sur la Ville, le Territoire et le Milieu rural (Lepur) a introduit la thématique en partant des trois dynamiques économiques émergentes : le circulaire, le créatif et le numérique, ainsi que leur relation avec le territoire. Le décodage de ces dynamiques émergentes le mène à explorer le concept de Tiers-Lieu.

Sa vision du Tiers-Lieu ? Il s’agit d’un espace de proximité partagé, vecteur d’innovation matérielle et immatérielle et dans lequel sont mis en commun des équipements et des services.

Il fait d’abord le parallèle avec la France où la dynamique Tiers-Lieu est soutenue à l’échelle nationale dans une stratégie de dynamisation des territoires ruraux et urbains. On parle de près de 2400 Tiers-Lieux labellisés ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoires).

En Belgique, les exemples se multiplient. Notamment à Charleroi avec l’espace COMPOSITE, ensemble immobilier autrefois occupé par une menuiserie. À Fernelmont, c’est un espace de coworking qui est aménagé dans une ancienne banque. Les Hubs créatifs, autre forme de Tiers-Lieu, se développent également à Tournai, par exemple, au cœur au quartier Saint-Piat. 

Un Tiers-Lieu, on y fait quoi ? « Un tas de choses qui peuvent être partagées en communauté autour d’une bonne tasse de café ! » clame Bruno Bianchet. Ce dernier parle d’innovation technologique autant que la relation sociale qui s’y réinvente. 

À l’évidence, le Tiers-Lieu est un outil de développement territorial. Il favorise la dynamisation économique locale, la réhabilitation des lieux, la cohésion sociale et « l’empowerment local ».

L’élément fondateur de la création d’un Tiers-Lieu part de la volonté d’un réseau d’acteurs locaux privés et/ou publics de s’impliquer dans un projet collectif. Ils partent le plus souvent à la recherche d’un lieu. Parfois, c’est celui-ci qui est mobilisateur du projet collectif. Dans tous les cas, ce sont les opportunités du territoire qui sont génératrices de la dynamique.

Le Tiers-Lieu peut aussi être considéré comme un « totem »,  un symbole emblématique visuel et patrimonial comme l’ancienne gare de Val de Poix ou encore la Grand Poste à Liège. Il s’ouvre sur l’espace public pour optimiser sa visibilité et « faire tiers lieu ». 

Dans une démarche de développement local, redonner vie à un espace vide est fondamental. La réflexion s’associe aussi à une évolution dans nos comportements qui créent de nouvelles opportunités, notamment en matière de déplacements. Mais, le Tiers-Lieu n’est pas la « baguette magique » d’un territoire à dynamiser.  Ainsi voit-on des espaces dits « Tiers-Lieu » sous-utilisés. Un flop à décoder au travers d’une mauvaise évaluation des besoins et une gouvernance du lieu peu aboutie. 

Quels sont alors les éléments essentiels à prendre en compte pour développer un projet de Tiers-Lieu ? 

« On rassemble une communauté porteuse qui s’insère dans un écosystème local où toute une série d’atouts et de savoirs faires sont disponibles » affirme Bruno Bianchet. Des structures vont accompagner les porteurs de projet sur la question du statut juridique et du modèle économique.

Si vous souhaitez aller plus loin :

Florence Trum, attachée au cabinet de la ministre wallonne de l’Environnement et de la Ruralité, Céline Tellier, a évoqué l’appel à projets lancé en 2022 en soutien au développement des Tiers-Lieux ruraux. 23 projets ont été sélectionnés dont 4 en Brabant-Wallon. Un Budget de 500 000 euros est débloqué par projet pour une durée de 3 ans.

C’est la première fois qu’un soutien public est attribué aux Tiers-Lieux en Wallonie. L’initiative de cet appel est née de la période post-covid. La crise sanitaire a en effet chamboulé nos modes de vie à travers nos modes de travailler, de consommer et de rencontrer les gens. Le besoin de proximité s’est fait ressentir par l’envie de trouver près de chez soi des services, des espaces culturels, du commerce de proximité, de l’HoReCa et des lieux de rencontre… La problématique de désertification rurale constitue l’autre défi qui a motivé la mise en place de l’appel à projet.

Dans le passé, un soutien aux zones rurales avait déjà été mis en place pour les espaces de coworking et les maisons multiservices, dans le cadre des PCDR en autres. Toutefois, la présence citoyenne, dans le process projet et dans l’animation du lieu, y était peu présent. L’appel à projets de 2022, au contraire, cherche à soutenir prioritairement la dimension citoyenne indispensable au succès des projets.

Florence Trum a insisté sur la vocation du Tiers-Lieu à répondre aux manquements des communes en termes de services proposés. 

L’autre objectif est de constituer et alimenter un réseau wallon permettant aux porteurs de projets de faire part de leurs succès ou difficultés rencontrés et trouver des solutions ensemble. Cette mise en réseau permettra aussi de tirer les premiers enseignements et enrichir les pratiques.

Pierre Seraille, coordinateur du Monty à Genappe, a expliqué le parcours de ce Tiers-Lieu artistique, culturel et citoyen.

Le Monty a été créé il y a 5 ans par le Tof Théâtre, compagnie de marionnettes, qui a acquis l’ancien cinéma de la commune et a eu l’envie de partager le lieu avec les habitants de Genappe. C’est le point de départ de toutes une série d’initiatives : Genappe en Transition, Les p’tits Pots (épicerie collaborative), Genappe solidaire… D’autres activités sont portées par les bénévoles : après-midis jeux de sociétés, tables de conversation, concerts, spectacles, repair café, ciné-club…

Pierre Seraille décrit le Monty comme « un lieu ouvert où chacun est le bienvenu avec les idées qu’il veut mettre en place et est soutenu par une équipe très impliquée ».

En une décennie, Genappe a ainsi connu un renouveau grâce à la dynamique engendrée par le centre culturel – Le 38 et le Monty. L’espace devient un modèle régulièrement visité par des porteurs de projets intéressés par la thématique. Par ses activités, le lieu brasse 200 à 300 visiteurs par semaine !

Et la suite ? Le soutien de la Région wallonne va permettre au Monty de bénéficier d’un accompagnement et de développer encore d’autres activités tels qu’une cantine, un soutien supplémentaire aux P’tits Pots…

Jean-Guibert Croughs, fondateur de Oli-Wood Guest House, Tiers-Lieu situé à la Hulpe a raconté son histoire.

Au départ d’une initiative entièrement privée, l’Oli-Wood Guest House a acquis une vocation multiple : culturelle, festive, médicale, pédagogique et sociale. Il est défini par son propriétaire comme un « lieu d’échanges et de sérénité ».

En hommage à son fils qui a autrefois habité les lieux, il décide il y a quelques années d’acquérir la maison en commençant par y proposer un Bed and Breakfast. L’occupation du lieu évolue vers l’accueil de trois personnes qui y habitent désormais. Une thérapeute en bien-être et un podologue y trouvent également un espace de travail. La fille de Jean-Guibert Croughs y organise des jam sessions, tandis qu’une caravane résidentielle accueille tout visiteur qui passerait par-là…

Du théâtre de rue y a été organisé, un parcours d’artistes… Un journaliste passe régulièrement chez Jean-Guibert avec qui il aimerait s’impliquer dans les activités du lieu.

Un lieu qui évolue donc sans cesse et ne demande qu’à être partagé. Un lieu qui résonne avec les histoires et les désirs, rend en capacité, fait communauté.

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